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Samedi 25 Septembre 2010:

Éditorial

Fièvre de la jeunesse

Par Jean Emmanuel Ducoin

« C'est la fièvre de la jeunesse qui maintient le reste du monde à la température normale. Quand la jeunesse se refroidit, le reste du monde claque des dents. » Lors de ses longs et dispendieux week-ends à la Lanterne. Nicolas Sarkozy doit souvent espérer que Georges Bernanos se soit trompé... En 2010, dans une société de l'excès marchand et de l'insécurité sociale, où les rares contestations doivent être canalisées pour les temps de cerveaux encore disponibles, des jeunes muets et dociles feraient bien l'affaire. Pourquoi diable s'occuperaient-ils du dossier des retraites, alors qu'ils peinent à entrer sur le « marché du travail » ? La page de Mai 68 n'est-elle pas définitivement tournée ?

Sarkozy n'a décidément pas de chance. Non seulement les jeunes refusent l'inexorabilité du monde qu'on leur promet, mais ils se mêlent du chantier des retraites. Et pour cause ! Ils seront bel et bien les premières victimes des choix du gouvernement. Une seule statistique résume la situation : une personne née en 1935 touchait plus de 80 % de son dernier salaire en partant en retraite ; une personne née en 1985 n'en toucherait qu'à peine 60 %.

A-t-on réfléchi assez à cette éventuelle régression générationnelle ? Prend-on assez conscience de ce que signifierait symboliquement ce recul de civilisation pour nos jeunes, déjà frappés par une insertion professionnelle tardive, par le chômage, la précarité et l'intérim, affectés par une société sans répit qui transforme l'espérance de vie en handicap ? N'oublions jamais que le taux de pauvreté des 18-29 ans est passé en huit ans de 9 % à 12 %. Fatalement, le dernier baromètre annuel Ipsos pour le Secours populaire, publié lundi, est éloquent. Quand ils pensent à leur situation actuelle et à leur avenir, 50 % des jeunes se déclarent « angoissés » et 38 % « en colère ». Trimer tard pour une retraite à peine décente ou devenir trader... Est-ce ça, le monde de demain ?

Certains ne se gênent pas pour caricaturer ces jeunes aux espoirs précaires. Ils seraient

« désenchantés », « tétanisés », « apolitiques congénitaux », comme l'écrivait récemment le Figaro, puisque

« les idéologies de transformations sociales » ne les « séduisent plus ». Quand le mépris de classe s'additionne à une haine générationnelle, toutes les démagogies sont possibles. Et de ce côté-là, le pouvoir n'a pas son pareil. À en croire la communication officielle du Palais, la loi Woerth serait non seulement une « nécessité » pour les prochaines générations, mais elle aurait été conçue « pour » les jeunes...

 

Seulement voilà, 74 % des 18-24 ans se déclarent opposés au report de l'âge de départ, selon un sondage CSA pour la CGT. Une injustice contre laquelle ils ont décidé de se mobiliser au sein d'un collectif d'organisations baptisé « La retraite, une affaire de jeunes ». Preuve que cette jeunesse est plus combative et impatiente qu'on ne le croit. Et cette impatience a au moins un avantage, elle devrait nous prémunir d'une tentation mortifère : attendre un changement en 2012. Même François Chérèque ne cesse de le répéter depuis des semaines : « Nourrir des illusions sur 2012, c'est se condamné à l'impuissance aujourd'hui. » Beaucoup de jeunes ont ainsi choisi la bonne philosophie : « On s'engage à fond pendant qu'il en est encore temps », disait l'un d'eux lors des grandes manifestations du 7 septembre. Le mouvement social a toujours besoin de la fièvre de la jeunesse.

(source l'Humanité du mercredi 22 septembre)

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