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Jeudi 15 Juillet 2010:
Dépenses de soins : on « maîtrise » ? Non, on privatise Frédéric Pierru, sociologue, chargé de recherche au CNRS. Après le système de retraite, c'est désormais l'assurance maladie qui est dans le collimateur du gouvernement. Le haut fonctionnaire Raoul Briet a pris, au début de l'année, la tête d'une commission chargée par le gouvernement de réfléchir à des mécanismes « automatiques » de « régulation » - comprendre maîtrise - des dépenses d'assurance maladie. Déplorant que l'Objectif national des dépenses d'assurance maladie (ONDAM) soit chaque année dépassé, le gouvernement souhaite s'équiper des outils nécessaires pour que de simple curseur indicatif, l'ONDAM devienne un budget ferme et impératif. L'idée n'est pas nouvelle, puisqu'elle a été formulée dès la fin des années 1970 par le gouvernement de Raymond Barre, lorgnant du côté de l'Allemagne, qui venait de mettre en place un tel dispositif. L'histoire semble bégayer avec un accent allemand. Du reste, l'offensive est logique, puisque les dépenses d'assurance maladie représentent plus de 150 milliards d'euros, soit le deuxième poste budgétaire de la protection sociale, après les retraites justement. C'est donc là que gisent d'importantes sources d'économies pour revenir dans les clous de l'orthodoxie budgétaire. Si la commission Briet a considéré que les mécanismes les plus contraignants, du type réduction automatique des tarifs des professionnels de santé, étaient politiquement irréalistes, elle a plaidé pour le renforcement du dispositif d'alerte mis en place par la réforme de l'assurance maladie de 2004 depuis cette date lorsque les dépenses d'assurance maladie « dérapent », un comité d'alerte est activé pour exiger du directeur de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie (UNCAM) qu'il prenne des mesures qui, par construction, ne peuvent être que comptables et conjoncturelles (déremboursements de médicaments, augmentation de la participation financière des assurés sociaux, etc.). Dans l'optique de la commission Briet, il conviendrait d'abaisser le seuil de déclenchement de l'alerte. Tout cela peut sembler anecdotique. Pourtant, il n'en est rien, puisque le gouvernement a fixé comme cap pour les années à venir une progression de l'ONDAM de 2,9 % en 2011 puis 2,8 % en 2012. Cet objectif est irréaliste, puisque l'augmentation annuelle a été de 3,5 % en moyenne ces dernières années. Abaisser le seuil de déclenchement de la procédure d'alerte en durcissant l'objectif de dépenses revient à programmer le désengagement de la Sécurité sociale. Outre son caractère automatique, cette procédure crée un climat d'urgence budgétaire, qui est nécessaire pour que l'opinion publique avale la potion amère de la privatisation rampante de l'assurance maladie. Est d'ores et déjà prévue, dans cette configuration, lad mise en réserve ou d'annulation de crédits budgétaires destinés aux hôpitaux. Nul doute que d'autres mesures comptables du même acabit dorment dans les tiroirs du bureau du directeur de l'assurance maladie ou de la ministre de la Santé. Il serait souhaitable, pour ne pas dire moral, de programmer une hausse régulière des cotisations et de la CSG de façon à maintenir un haut niveau de prise en charge publique des dépenses de santé. Le gouvernement actuel fait pourtant le choix inverse : ne pas augmenter le financement public et solliciter davantage les assurances maladie complémentaires ainsi que la participation directe des malades. Ces deux modes privés de financement sont non seulement injuste socialement - le second encore plus que le premier - mais aussi inefficaces économiquement, car ils ne permettront pas la maîtrise des dépenses. Rien ne justifie le désengagement de la Sécurité sociale, hormis bien entendu des considérations idéologiques et/ou de clientélisme. La politique des caisses vides sert en effet les intérêts des organismes complémentaires, en particulier des assureurs, à qui revient de plus en plus la prise en charge des soins courants, laissant à l'assurance maladie celle des soins dispensés aux plus malades et aux plus démunis. Cette dérive, très préoccupante sur les plans social et sanitaire, l'est aussi du point de vue politique, car combien de temps les jeunes actifs bien portants accepteront-ils de financer une assurance maladie publique dont ils profitent de moins en moins ? que conclure de tout cela ? Face à l'ampleur de l'échec du capitalisme financiarisé, des observateurs un peu pressés ont estimé que le néolibéralisme allait être remisé au placard des idéologies obsolètes. C'est le contraire qui est en train de se produire, soulignant une nouvelle fois la portée réactionnaire des crises. Dans le domaine de la santé, on en revient ainsi aux vieilles lunes libérales formulées à la fin des années 1970, châtiant la solidarité salariale au nom de la lutte contre les déficits créés par les dysfonctionnements de la rente. (source L'Humanité Dimanche)
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