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Jeudi 23 Septembre 2010:

Éditorial

De quoi demain ?

Par Jean-Emmanuel Ducoin

« Nous ne sommes pas encore libres, nous avons seulement atteint la liberté d'être libre. » À la recherche d'une épitaphe qui symboliserait tous les espoirs placés dans ce XXIe siècle, les mots de Nelson Mandela viennent immédiatement à l'esprit – inutile d'en expliquer la raison. À l'heure où le monde réfléchit à son avenir sous l'égide de l'ONU, avec le bilan d'étape des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), comment se faire encore poètes mangeurs de lune alors que l'état actuel de l'humanité, qui, comme chacun le sait, n'existe point encore, nous recommande de dormir d'un sommeil léger ? La soif éperdue d'égalité, de justice et d'éradication de la faim dans le monde porte d'autant plus qu'elle fait cruellement défaut aux peuples de la terre...

dix ans tout juste après que 189 États affichèrent leur volonté (sic) de réduire l'extrême pauvreté et les inégalités d'ici à 2015, est-il nécessaire de répondre à la question suivante : cette promesse solennelle a-t-elle été tenue ? Répliquons plutôt par ce que certains considéreront comme une provocation, mais qui, à bien des égards, vaut tous les discours : pour sauver une poignée de banquiers, les chefs d'État et de gouvernement de la planète ont réussi à trouver 3000 milliards, alors qu'ils oublient depuis des années de payer le vingtième de cette somme pour sauver les pays pauvres de la famine, des pandémies et de la misère. À la faveur de la crise financière mondiale, c'est le masque du capitalisme qui est brutalement tombé... Car l'horreur est là, palpable : éradiquer la malnutrition ne coûterait « presque » rien comparé aux plans contre la crise... La FAO, qui compte 925 millions de malnurits, soit 90 millions de plus qu'avant les crises alimentaires des dernières périodes, ne demande que 22,2 milliards d'euros par an pour mettre fin durablement au problème. Moins de 3 milliards d'euros par an permettraient de traiter toutes les personnes touchées par la malnutrition aiguë sévère, dernier stade avant la mort. Vertige du monde réel...

Pendant ce temps-là, chacun sait que les populations qui souffrent de la faim continuent, en valeur absolue, à croître, et que la faiblesse des rémunérations maintient 20 % de la population mondiale salariée sous le seuil de pauvreté. Quant au « partenariat » dit de développement, l'aide publique est inférieure à 0,3 % du PIB mondial, sachant que l'actuel commerce mondial aggrave les inégalités... De puis trente ans, les gains de productivité de l'économie ultralibéralisée vont massivement au capital, les prédateurs prennent tout, tandis que la croissance n'enrichit que marginalement les pays émergents.

L'ici-maintenant est un océan de disproportions. À quoi ressemblera l'entr'aperçu de notre à-venir ?

Contrairement à un slogan à la mode, ce n'est pas la planète qu'il faut sauver, mais l'humanité ! Comment accepter qu'un Terrien sur dix possède 80 % des ressources mondiales, que 2 % de l'humanité disposent de 50 % des richesses, que la moitié des hommes n'en possèdent qu'un pour cent ? Les dirigeants de l'ONU devraient le savoir, rien n'est pire que le dévoiement d'une espérance. Alors, soyons sérieux. Aucun horizon ne sera redéfini sans qu'une nouvelle gouvernance mondiale – en somme une tout autre ONU – n'impose une vraie répartition des richesses à l'échelle globale. Faute de quoi nous lirons longtemps encore une autre phrase prophétique de Mandela : « Tant que la pauvreté persistera, il ne saurait y avoir de véritable liberté. »

(source l'Humanité du lundi 20 septembre)

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