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Vendredi 17 Septembre 2010:
« Des comparaisons internationales biaisées » Syndicaliste CGT, membre du conseil d'orientation des retraites, Jean-Christophe Le Duigou pointe les mensonges du gouvernement et dénonce la brutalité d'un projet destiné à donner des gages aux marchés financiers. En quoi, selon vous, la réforme des retraites soumise aujourd'hui au vote des députés est-elle l'une des plus dures, pour les salariés, parmi toutes celles qui ont été mises en œuvre dans le monde ? Jean-Christophe Le duigou. On nous sert souvent des comparaisons complètement biaisées. On entend dire depuis des mois que la France est le seul pays à accorder le droit de partir à soixante ans. Quand on regarde les données publiées par le Conseil d'orientation des retraites, ou même par l'OCDE, on s'aperçoit que la Belgique, le Canada, le Japon, ont un âge de départ de soixante ans. On dit aussi que l'âge de la pension complète, soixante-cinq ans, est l'un des plus bas au monde ; en réalité, dans la plupart des pays – Japon, Canada, Pays-Bas, Belgique et Allemagne jusqu'à présent -, c'est aussi soixante-cinq ans. Quant au nombre d'années de cotisation, nous allons passer à 41,5 ans, alors que l'Allemagne est, pour l'instant, à 35 ans, comme les États-Unis, et le Japon est à 40 ans. La réforme est extrêmement dure, et on commence à s'en apercevoir. D'une part, elle est brutale, puisque le rythme de relèvement des seuils d'âge est de quatre mois par an : en six ans, on reculerait de deux ans l'âge de départ, et la possibilité de retraite sans décote. Aucun pays, ni en Europe ni dans le monde, n'a appliqué de tels rythmes. La deuxième cause de dureté de la réforme, c'est que, contrairement à tous les autres pays européens, et à des pays développés comme le Canada et les États-Unis, le système français cumule l'allongement de la durée de cotisation nécessaire pour toucher une retraite à taux plein, le recul de l'âge et la poursuite de l'abaissement du niveau des pensions (conséquence des mesures Balladur). Alors que les comparaisons montrent que le niveau relatif des pensions en France, par rapport au salaire moyen, est en dessous de la moyenne des pays de l'OCDE (55 %, contre 60 %). Selon le gouvernement, la France serait le premier pays à prendre en compte la pénibilité... Jean-Christophe Le Duigou. Là aussi, c'est faux. D'une part, dans le passé, elle était reconnue au travers de ce qu'on appelait la « retraite ancienneté » ou les « retraites ouvrières », en particulier en Allemagne, dans les pays nordiques, où les ouvriers avaient la possibilité de partir de manière anticipée. Aujourd'hui, cela va plus loin. L'Italie a décidé, en 2004, d'introduire un système spécial pour les salariés engagés dans des activités pénibles. Des dispositifs analogues ont été mis en place en Pologne, aux Pays-Bas et au Danemark. Au total, qu'en est-il de la répartition de l'effort financier prévu par la réforme française au regard de ce qui s'est fait ailleurs ? Jean-Christophe Le Duigou. On fait porter plus de 85 % de l'effort d'ajustement aux salariés, au travers du durcissement des conditions d'acquisition des pensions. Cela, dans un pays où la démographie est pourtant plus favorable que dans d'autres pays : nous avons un taux de remplacement des générations de 2, alors qu'en Allemagne, il y a, dès aujourd'hui, une baisse de la population. On fait payer cher aux salariés pour une situation qui est loin d'être plus difficile en Europe. Ce qui laisse bien penser que cette réforme est moins liée à l'objectif d'équilibrer les régimes que celui de donner des gages aux marchés financiers. Entretien réalisé par Yves Housson. (source l'Humanité du mercredi15 septembre)
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