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Cinquante milliards d'euros au soleil

Par Jean-Christophe Le Duigou (1)

malgré la crise économique la plus violente depuis les années 1930, les grandes entreprises françaises ont dégagé près de 50 milliards de bénéfices en 2009. Certes, ce chiffre est en baisse de 15 % par rapport à celui de 2008. Il n'en reste pas moins significatif de ce qu'aura été la priorité de gestion des plus grandes firmes pendant ces deux premières années de la crise : préserver les profits, fût-ce au détriment de l'emploi, des investissements, de la recherche. Loin de signifier une sortie de crise, ces 50 milliards et la manière dont ils ont été obtenus sont signe de difficultés majeures qui sont encore devant nous. Ce montant est bien sûr à mettre en parallèle avec avec les 650 000 emplois qui auront été perdus depuis le printemps 2008, le plus fort recul enregistré depuis la crise de 1929 !

les contradictions sont profondes et nombreuses. Les banques et les sociétés financières sont celles qui s'en sortent le mieux. Les cinq grandes banques et sociétés d'assurances du CAC 40 ont enregistré à elles seules le quart de ces 50 milliards de profits. Cela, alors que leurs activités de financement de l'économie n'ont par réellement repris. Il faut donc y voir avant tout l'effet des aides et des garanties que l'État leur a accordées, au cœur de la crise financière. Les groupes industriels n'ont pas tous d'aussi bons résultats. Leur priorité a été de se reconstituer en un temps record des trésoreries florissantes. Ils ont presque tous comprimé l'emploi et les salaires. Ils ont beaucoup emprunté sur les marchés financiers : 60 milliard d'euros, selon nos évaluations. Mais loin d'annoncer une relance des investissements, ces trésoreries abondantes laissent présager de nombreuses opérations de fusions-acquisitions avec le cortège de restructurations de délocalisations qui les accompagnent le plus souvent.

Reste que ces 40 entreprises vont verser 35 milliards de dividendes à leurs actionnaires, soit un montant égal à celui de l'an passé. Le taux de distribution des bénéfices, mesuré hors profits exceptionnels, augmenterait de 15 % en un an, passant de 46 % à 52 %. cela veut dire que plus la crise dure, plus les actionnaires « mordent » sur la richesse de l'entreprise, hypothéquant les marges de manœuvre pour l'investissement, la recherche, la formation, l'emploi, les salaires. Au lieu d'assumer leurs responsabilités, les détenteurs du capital se comportent en véritables prédateurs de l'entreprise, refusant de voir réduire leurs rémunérations.

Cette situation rend plus nécessaire que jamais le débat sur la « répartition de la valeur ajoutée ». Alors que c'était une conclusion du « sommet social » du 15 février 2009, à l'Élysée, le MEDEF a tout fait pour enterrer l'exigence de négociation sur le sujet. Il décide unilatéralement de lier le problème à la discussion sur les institutions représentatives du personnel dans les entreprises. Le lien n'est vraiment pas démontré, sinon à considérer que la répartition de la richesse n'est pas un vrai problème de fond. La stratégie du patronat, confirmée lors de la première réunion de discussion, le 10 mars, est claire : au mieux, il est prêt à accepter une meilleure information des représentants des salariés. On voit bien le troc que souhaite le MEDEF : les profits c'est pour les actionnaires, l'information c'est pour les salariés ! Penser que les salariés pourraient se contenter de ce faux-semblant n'est guère réaliste. D'une certaine manière, c'est déjà la bataille qui est engagée par les travailleurs grecs, portugais, espagnols, confrontés aux exigences insupportables des marchés financiers, relayées par la Commission européenne.

Si le MEDEF ne veut pas avancer, la solution doit passer par des mesures d'ordre public, notamment par une réforme de la fiscalité qui aujourd'hui favorise les actionnaires. Si l'on veut modifier le partage de la richesse créée dans l'entreprise, il est nécessaire de transformer l'impôt sur les sociétés. C'est une question de taux et base de calcul. Incitons par exemple les entreprises à privilégier l'emploi, l'investissement, la recherche, en modulant le taux de l'impôt sur les sociétés ou en le rendant progressif, en fonction des choix de gestion de l'entreprise. Les recettes d'impôt sur les sociétés représentent en France 2,8 % du PIB, contre 3,4 % en moyenne dans l'Union européenne. Cela correspond à une politique délibérée de défiscalisation des entreprises en France. Il y a donc de la marge pour le gouvernement.

  1. Économiste et syndicaliste.

(source l'Humanité)

     

 

 

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