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Lundi 8 Mars 2010:
Les entreprises vont-elles manquer d'argent ? Par Jean-Christophe Le Duigou (1) La question est peut-être provocante. Mais c'est la même qui s'était posée à la fin du XIXe siècle, après la grande crise financière de l'époque. Elle avait justifié la création d'institutions bancaires para-publiques. Le paradoxe est là : en 18 mois, les gouvernements et les banques centrales des différents pays ont distribué des milliers de milliards de dollars, empêchant l'effondrement du système bancaire et financier. En même temps, beaucoup d'entreprises, notamment les entreprises industrielles, sont à court de financement. Les conséquences sur l'emploi peuvent être considérables. En revanche les grandes banques françaises, qui ne distribuent pas assez de crédits, affichent plus de 11 milliards de bénéfices. Les grandes entreprises, elles, continuent de privilégier les actionnaires qui se retirent pourtant à la première difficulté. La durée de détention moyenne des actions par les investisseurs est tombée à moins de 10 mois. Même pas une année : quelle fidélité vis-à-vis de l'entreprise ! Mme Parisot, elle, ne parle que des « charges sociales et fiscales, des contraintes administratives... ». Bien sûr, il faut aller voir de plus près, chaque problème. Mais la plupart de ses arguments sont fallacieux. Prenons le seul exemple de l'impôt sur les sociétés. Réputé très élevé en France, puisqu'il affiche un taux de 33 %, celui-ci est en fait l'un des plus bas des pays développés : le « taux effectif », c'est-à-dire corrigé des abattements, exonérations et régimes obligatoires, n'est plus que de 13 %, contre 17 % aux États-Unis, 20 % en Allemagne et 28 % au Japon. Le taux de l'impôt est même d'autant plus bas que la taille de l'entreprise est grande. C'est la Commission européenne elle-même qui l'a dit ! Ni la fiscalité personnelle des entrepreneurs ni la fiscalité des entreprises ne peuvent être retenues comme des facteurs explicatifs globaux des difficultés françaises de financement des entreprises. En revanche, la contradiction française et européenne en matière de financement à long terme de l'économie éclate : d'un côté, nous connaissons un fort taux d'épargne (16 % chez nous), de l'autre, nous avons insuffisamment d'investissements productifs sur le territoire. Quand au crédit, nous en avons perdu le contrôle. Le risque est grand de voir les entreprises immigrer vers les pays émergents ou passer sous le contrôle de fonds étrangers. Comment alors sortir de l'impasse ? Il est indispensable de desserrer la contrainte de rentabilité et la pression des actionnaires qui pèsent sur les choix de gestion des entreprises. Recherche, formation, investissements de long terme sont délaissés par les marchés financiers. En 2008, sur 100 euros de profits des 36 plus grandes entreprises françaises, hors banques et assurances, seulement 50 sont allés aux investissements dans des capacités de production, dont une part importante hors France. On a parlé de limiter les « bonus ». Pourquoi pas, au plan européen, une réforme de l'impôt sur les sociétés qui deviendrait progressif en fonction du taux de rentabilité affiché par les sociétés ? Ce système les inciterait fortement à limiter les prélèvements injustifiés des actionnaires. Ensuite, il ne s'agit pas de développer l'épargne, surtout de long terme. Elle existe. Donc pas de fonds de pension. D'autant que, dans la conjoncture actuelle, nous avons besoin de consommation. Mais il faut réorienter son usage, notamment en ce qui concerne l'assurance-vie et différents types d épargne garantis par la puissance publique. La question principale se situe du côté du financement des entreprises industrielles, notamment du crédit. Avec la crise financière, l'accès au crédit est plus difficile et plus onéreux, alors qu'il est indispensable. N'y a-t-il pas lieu, bien au-delà de l'amorce d'un fonds public d'intervention, tel le fonds stratégique d'investissement (FSI), qui a été créé l'année dernière, de bâtir un pôle public de financement au service du développement industriel et de l'emploi, assurant accès au crédit et transformation sécurisée de l'épargne ? À l'image de ce qui a été fait pour le logement social il y a 50 ans, il est légitime de proposer la création d'un « livret d'épargne industrie et emploi », intégrant l'actuel « livret du développement durable » (ex-CODEVI) et le livret d'épargne populaire. Celui-ci assurerait un placement garanti et un usage des fonds et des crédits au service du développement industriel.
(source l'Humanité dimanche)
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