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Dimanche 21 Novembre 2010:

 

Éditorial

C'est si loin !

Par Jean-Paul Piérot

Ironie du calendrier, quelques jours seulement après que Nicolas Sarkozy a tenté de revêtir le costume trop grand du général de Gaule à l'occasion du quarantième anniversaire de sa mort, le sommet de l'Otan vient rappeler que c'est précisément l'actuel président de la République qui a enterré le dernier legs du gaullisme en matière de politique étrangère. Si l'homme du 18 juin fut également l'homme qui mit fin à la soumission de la France à la stratégie atlantique en 1966, l'hôte de l'Élysée restera dans l'histoire comme celui qui aura arrimé notre pays à une alliance militaire qui n'aurait jamais dû survivre à la guerre froide dont elle est un dangereux résidu. Annoncée devant George Bush, lors du sommet de Bucarest en 2008, alors que l'armée américaine menait en Irak depuis 2003 une guerre que la France avait condamnée, le retour de la France dans la structure militaire intégrée de l'Otan fut solennellement proclamée l'année suivante dans une ville de Strasbourg transformée en camp retranché et un climat de violence extrême que subirent des milliers de manifestants empêchés d'exprimer pacifiquement leurs aspirations à une culture de paix.

Les chefs d'État et de gouvernement réunis au bord du Tage ne peuvent que contempler l'étendue du désastre auquel conduit l'aventure otanesque, à l'aune de la situation catastrophique où s'enlise l'Afghanistan et où s'embourbent les contingents militaires. Un pays sans État de droit, des populations à la merci des bombardements avec leurs lots de victimes collatérales et des forces extrémistes, talibans de tout poil qui profitent de l'exaspération de la population près de dix ans après que les premiers obus de l'OTAN ne s'abattirent dans la nuit de Kaboul en octobre 2001. Cette guerre déclenchée par George Bush face à un monde tétanisé par les attentats du 11 septembre n'a fait que renforcer l'insécurité internationale. Les pays, dont la France, qui n'ont pas su résister à la folie de la guerre des civilisations, n'ont pas tiré la leçon de leurs erreurs, mais ils sont obligés de rechercher une issue de secours hors d'une situation qui leur échappe de plus en plus...

Loin en effet de prendre en compte les aspirations nouvelles des peuples à un système de sécurité collective plus respectueux de l'égalité entre les états proclamée par l'ONU, le nouveau concept stratégique que vont adopter les pays membres de l'OTAN va aggraver le caractère de bras armé du monde des puissants contre un Sud suspect. Il en est des peuples dangereux aux yeux des tenants de l'ordre du monde comme des classes dangereuses dans les pays du capitalisme en crise. Soumission de l'Europe à la stratégie nord-américaine « lien transatlantique », adaptation des forces pour des interventions ciblées au nom de la « gestion des crises », élargissement à de nouveaux pays membres au risque de déclencher de nouvelles crises à l'instar que celle qui opposa la Russie à la Géorgie... Le nouveau concept stratégique prétend octroyer à l'organisation un statut illégitime face à l'ONU qui est la seule instance où les pays grands ou petits ont les mêmes droits. Parler dans ce contexte de développement de l'identité européenne de défense et de sécurité relève de la mauvaise farce. Faut-il avoir l'échine souple du nouveau ministre de la Défense Alain Juppé pour adhérer sans réserve au nouveau concept sarkozyen et remiser dans le tiroir de l'oubli la politique étrangère plus indépendante que le même Alain Juppé eut à conduire au Quai d'Orsay dans les années quatre-vingt-dix. Mais c'est loin.

(source l'Humanité du samedi 20 novembre)

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