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Jeudi 11 Juin 2010:
Ces profs stagiaires qu'on envoie « au casse-pipe» Ils seront lancés dans les classes dès septembre, sans formation. « On est complètement paniqués. » Étudiante en mastère d'histoire-géographie, Florence Giraud passe cette année le concours du Capes. Elle fait partie de ceux qui auront à pâtir de « l'improvisation totale » du ministère, lancé dans une réforme de la formation des enseignants. Les informations leur parviennent au compte-gouttes, par rumeurs ou par médias interposés. Seule certitude : les conditions difficiles de leur année de stage. « Nous allons travailler pendant dix-huit heures, sans presque aucun temps pour la formation. On va devoir assumer des classes comme un prof normal. Dans ces conditions, les tuteurs ne veulent pas de nous. Ça va être très dur », s'inquiète Florence. Même sentiment pour Guillaume Pollack, vingt-deux ans, qui prépare le même Capes : « On a le sentiment d'être envoyés au casse-pipe. Nous ne sommes pas préparés à affronter une classe. Même celui qui finit major du concours n'est pas forcément tout de suite un bon prof... » Une inquiétude partagée par les tuteurs, ces professeurs chargés de guider les jeunes stagiaires pendant leur première année. Début avril, une pétition lancée par trois syndicats de la FSU appelait à refuser ces missions. Professeur et tutrice depuis dix ans dans un lycée des Hauts-de-Seine, Valérie (1) refuse d'appliquer un tutorat vidé de sa substance. « Le métier d'enseignant s'apprend en plusieurs années », appuie-t-elle et nécessite de pouvoir « prendre du recul sur l'enseignement », notamment « quand ça se passe mal ». Impossible avec un emploi du temps qui équivaut à un temps plein de vacataire. D'autant qu'aux dix-huit heures en classe, il faut ajouter le temps de préparation des cours. Valérie calcule : « Pour un jeune prof, il faut entre trois et quatre heures de préparation à la maison pour une heure de cours. Sans compter la correction des copies. Ça laisse peu de temps à la formation et le stagiaire devra travailler sept jours sur sept. » Dans les établissements considérés comme difficiles, il paraît peu souhaitable, ajoute aussi la tutrice, que « les élèves sachent qui est stagiaire et qui ne l'est pas. Car dès qu'ils sentent une faille, ils s'y engouffrent ». « On paye les pots cassés des réformes », résume Guillaume, qui voit dans « cette formation au rabais un coup porté à l'égalité des chances ». La crainte de beaucoup ? Que ces professeurs débutants, submergés par les difficultés, ne démissionnent au bout d'un an. Ixchel Delaporte
(source l'Humanité du Mercredi 10 Juin)
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