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Samedi 17 Juillet 2010:

L'Austérité qui ne dit pas son nom

Rigueur. Pour sauver son bouclier fiscal, Nicolas Sarkozy a sabré clair dans les budgets sociaux (hôpital, éducation, culture...). Mais le chef de l'État se refuse toujours à prononcer le mot  « rigueur ». Inventaire des principaux secteurs qui ont déjà commencé à se serrer -  beaucoup - la ceinture.

Adieu, opulentes réceptions, appartements et voitures de fonction ! L'heure est à la réduction du train de vie de l'État. Premiers fusillés pour l'exemple, les sous-ministres Christian Blanc et Alain Joyandet , poussés à la démission le 4 juillet par Sarkozy. Accusés tous deux de crimes de  lèse-contribuable : 12 000 euros de cigares fumés grâce aux deniers publics pour l'un, 116 000 euros de vol en jet privé vers les Antilles et un permis de construire illégal près de Saint-Tropez pour l'autre.

C'est Christine Lagarde qui a trouvé la bonne méthode : la « rilance », mélange de rigueur et de relance. Du rafistolage politique qui met sous cape l'essentiel des coupes budgétaires votées depuis 2009 par l'Assemblée nationale, et applicables jusqu'en 2011 (depuis l'année dernière, le budget des ministères s'évalue selon une programmation triennale des dépenses de l'État). De l'austérité à plein tube, que l'on doit à l'application directe du sacro-saint principe de la RGPP, la Révision générale des politiques publiques. Un acronyme en vogue qui se donne pour mission de réduire les dépenses publiques et de dégraisser par touches la caisse des ministères. Avec un déficit de 8 % du PIB en 2010 - 160 milliards  d'euros -, l'objectif est clair : faire économiser à l'État 7 milliards d'euros sur trois ans.

L'Éducation nationale et la Culture en ligne de mire ? Si leur budget respectif à augmenté de 1,56 % et 2,6 % en un an (60,8 et 2,9 milliards d'euros), ils cachent en leur sein de profonds désengagements étatiques. Soit par un gel des crédits, soit en faisant porter le chapeau aux collectivités locales. Elles qui sont aux mains des socialistes et dont Sarkozy ne voit pas pourquoi elles éviteraient le coût politique de l'opération. Mais Gilles Carrez, le rapporteur du budget, l'a confirmé : il faut se montrer imaginatif ne pas hésiter à geler les... aides au logement. Et, tant qu'à faire, aller rogner aussi du côté de l' Allocation aux adultes handicapés pour la rentrée. Ces dépenses dites « d'intervention » sont de l'ordre de 66 milliards, et il est prévu de les réduire de 10 % d'ici à 2013.

Le refus de toucher au bouclier fiscal à donc contraint le gouvernement à taper là où ça fait mal : les hôpitaux, la médecine libérale et les petits centres de soin. Pour cela, on peut faire confiance à la ministre de la Santé, dame Bachelot. Étude de sept cas symptomatiques, péchés capitaux de la Sarkozie.

Dossier réalisé par Louis Cabanes (avec Mathieu Adenil)*

Le gouvernement serait-il inculte ?

Deux chiffres. En moyenne, chaque année, les départements français soutiennent la culture à hauteur de 1,3 milliards d'euros, et la région à 700 millions. Une tradition qui remonte aux lois de décentralisation d'André Malraux, il y a cinquante ans. Les collectivités ont pour habitude d'apporter un complément de subvention crucial pour les budgets artistiques, coups de pouce qui, selon les cas, varient de 15 à 90 %. Et de pallier le désengagement de l'État. Par exemple, le conseil général de Seine-Saint-Denis est le premier financeur du théâtre de Bobigny. Et des aides régionales ont contribué à la réalisation de films français tels que Séraphine, Un prophète, Welcome et la journée de la jupe...

Désengagement de l'État

Une pratique à laquelle le gouvernement tente de mettre  un frein en voulant supprimer « la clause de compétence générale » du texte des collectivités territoriales. Une clause qui permet aux collectivités d'intervenir aussi bien dans le domaine de l'art que dans celui de l'action sociale. Et à laquelle Sarko aimerait dire stop, selon un principe simple : à chaque échelon, sa spécialisation. Le RSA pour toi, bon département, la culture presque exclusivement pour moi, noble État. L'étonnant est que le Sénat vient de s'opposer à la volonté présidentielle lors de la deuxième lecture du texte de loi, au grand dam du ministre de l'Aménagement du territoire, Michel Mercier.

En réalité, l'attitude gouvernementale semble contradictoire pour ne pas dire schizophrénique : les priorités du ministère de la Culture en 2010 sont davantage tournées vers le patrimoine (+ 9 %) que vers la création (+ 0,4 %) et la transmission des savoirs (+ 0,2 %). Et pour le spectacle vivant, les moyens ne cessent de diminuer, avec des crédits passés de 60 à 50 millions*

 

Des musées pas amusés

Dans ce climat budgétaire, pas étonnant que les établissements publics nationaux (Opéra, Comédie-Française, château de Versailles, Cité de la musique...) aient vu, en 2009, leurs crédits de fonctionnement baisser de 6 millions d'euros. Des restrictions budgétaires qui ne seront pas compensées en 2010. Bien fait pour eux.

Pour contrebalancer ce retrait de l'État, la mode est donc à la recherche d'autres sources de financement. Soit une forme de commercialisation de la culture qui consiste, le plus souvent, à ouvrir les espaces publics à la location, à « l'événementiel », et, dans le cas des musées, aux boutiques en tout genre.

 

Espaces publics à louer

Il suffit de se rendre sur le site des Monuments nationaux pour mesurer l'étendue de cette nouvelle pratique.

« Nous vous proposons un ensemble unique de lieux patrimoniaux prestigieux (châteaux, abbayes, forteresses, jardins...) afin d'y organiser tous vos événements : dîners, cocktails, réceptions de mariage, spectacles et concerts, conférences et séminaires. »

Vous souhaitez organiser une soirée dans le domaine du musée Rodin ? Il vous en coûtera au moins 20 000 euros. À l'Opéra royal du château de Versailles ? 60 000  euros. Au musée d'Orsay ? De 5000 à 20 000 euros. Folie des grandeurs, au Louvre ? De 3000 à 62 000 euros hors taxe ! Voilà comment s'appliquent à la culture les logiques du privé *

 

Les écoles primaires saquées

 

Dans l'éducation nationale, le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux se traduit par la suppression de 13 500 postes en 2009, 16 000 en 2010 et autant en 2011, selon les propos du ministre du Budget François Baroin. Conséquence directe la fermeture de classes et le passage de 24 à 30 élèves en moyenne dans les collèges.

Défendue par Luc Chatel, le ministre de l'Éducation, dans une interview à Paris-Match, cette baisse des effectifs est remise en cause dans un dossier de la Direction de l'évaluation et de la prospective, qui dépend pourtant directement de l'autorité de Chatel. Il y est noté que « la réduction des effectifs semble avoir un impact deux fois plus fort lorsqu'elle est faite en primaire, lieu d'acquisition des savoirs fondamentaux ». Ça tombe bien, ce sont les petites écoles qui sont dans le viseur ! Dans l'Aube, 56 postes d'enseignants seront supprimés à la rentrée 2010-2011,  et 15 classes ont déjà été fermées. À Nice, fief de Christian Estrosi, on dénombrait, pour 2009,155 élèves en plus pour 180 profs en moins. Qui s'ajoutent aux 693 non renouvelés sur cinq ans.

 

Désertion

Mais c'est dans les terres rurales, déjà frappées par la désertion des services publics, que les effets seront les plus lourds. Dans la Vienne, 150 postes pour le second degré et 113 pour le premier sont menacés. À Bourges, six postes et quatre classes en moins à la rentrée. Pas sûr que les 157 euros supplémentaires mensuels accordés aux nouveaux profs en septembre sauront les calmer...*

os du remplacement

Le principal dommage collatéral de cette recherche d'économies dans l'Éducation nationale est la multiplication du nombre des contractuels et des vacataires. Le pire en matière de précarité : pas de cotisations sociales, paiement deux mois au minimum après le travail effectué, à des tarifs qui ne font pas rêver : 59,60 euros le cours magistral, 39,74 euros les travaux dirigés et 26,49 euros la séance de travaux pratiques.

En mars, un prof avait déclaré, un témoignage au Monde, en être à son 26e CDD. À cela s'ajoute la suppression progressive des Rased (les Réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté) - 3000 postes en moins en 2009 -, qui restent une cible privilégiée. Réponse du chef Chatel : la mise en place d'un fichier de contractuels et de profs non titulaires « dont on sait qu'on pourra les appeler au pied levé ». Quitte à ce qu'il s'agisse d'étudiants ou de retraités. En tant qu'ancien DRH de L'Oréal, il sait de quoi il parle*

 

Les hôpitaux de Paris saignés à blanc

 

L'opération à coeur ouvert  de l'Assistance publique des hôpitaux de Paris (APHP), premier CHU de France, par Roselyne Bachelot, a valeur d'exemple. Déficitaire de près de 100 millions d'euros en 2009, l'APHP se voit prodiguer par la ministre de la Santé un plan sur quatre ans (2010-2014), qui prévoit de regrouper ses 37 hôpitaux en 12 pôles. Objectif : récupérer de 200 à 400 millions d'euros.

 

Patrimoine à vendre

Au menu des saignées : 5000 suppressions de postes selon les syndicats, des fusions de services et d'autres enterrés. Seront ainsi regroupés l'hôpital Antoine-Béclère de Clamart et ceux de Bicêtre et de Paul-Brousse. Ou la maternité de Saint-Antoine, à Paris, transférée vers Trousseau et Tenon. Et tant pis s'il faut vendre les meubles et le linge de maison, dont l'Assistance publique est bien dotée.

Forêts, châteaux, immeubles hérités de grands noms. Du temps où céder son patrimoine public avait un sens... Ainsi le théâtre Mogador, vendu 5,5 millions d'euros. Ou cet immeuble du VIIIe arrondissement parisien, qui devrait rapporter entre 5 et 7 millions d'euros. À ces sessions de 2010 s'ajoutent des pavillons à Pau et six hectares de dunes à Berck. Quant à l'hôpital Saint-Vincent-de-Paul - qui sera fermé en 2011 et dont la valeur est estimée à 130 millions d'euros -, il suscite bien des convoitises.

En attendant, certains profitent des largesses de quelques patients. Comme ces internes  et professeurs de l'APHP rémunérés jusqu'à 55 000 euros, selon le Parisien, pour accompagner Liliane Bettencourt et son mari aux Seychelles. Merci docteur !*

La traversée des déserts médicaux

Constat d'impuissance un an après le vote du plan Hôpital, patients, santé et territoires, échelonné sur quatre ans, les déserts médicaux attendent toujours qu'il pleuve des médecins. Selon le syndicat des médecins généralistes MG-France, on comptabilise 3000 départs de généralistes en retraite par an pour 300 arrivées. La « mise en parenthèse » du dispositif des contrats santé-solidarité par Bachelot, qui prévoyait que les médecins de zones surdotées portent assistance à leurs confrères esseulés, n'a pas aidé. Si bien que, cette année, aucun médecin libéral ne s'est, par exemple, inscrit dans le Gers. Depuis deux ans, 19 régions sur 22 enregistrent une baisse d'effectifs. La plus touchée est la Lorraine (- 5,5 %) suivie de la Bourgogne (- 3,9 %) et du Centre (- 3,7 %).

Pour enrayer cet isolement, certains élus mettent en place des « pôles de santé pluridisciplinaires ». Vu que l'accès aux soins n'est pas une priorité gouvernementale, plus occupé à gérer la dette des 26 centres hospitaliers régionaux (sur 30 !) qui sont en déficit depuis 2008. Sans compter la fermeture possible de 54 blocs opératoires, révélée par le JDD, principalement en milieu rural. Heureusement, on peut toujours compter sur les remèdes de Mémé*

(source Bakchich)

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