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Mardi 17 août 2010:
Éditorial Au prix de la honte Par Maurice Ulrich Mais que se passe-t-il en France en cet été qui risque bien de devenir celui de l'ignominie ? Le climat est peut-être déréglé ces jours-ci mais le sens commun semble faire naufrage. Ainsi, entre deux séquences de somnifère télévisé à base de bouchons sur les routes, de reportages sur les vacances pas comme les autres de ceux qui ont choisi le fromage de chèvre contre l'huile solaire et autres banalités à haute dose, on n'entend plus parler que sécurité, évacuation des camps, opérations de police, délinquants étrangers, immigration et délinquance, voyous ou français, on en passe. Que se passe-t-il pour que l'ONU, par son comité pour l'élimination de la discrimination raciale, s'inquiète d'une montée en France du racisme et mette en cause l'État lui-même, comme les récentes déclarations du chef de l'État ? Il est vrai que, pour l'éditorialiste du Figaro, Yves Thréard, les membres de ce comité ne seraient que « quelques Fouquier-Tinville se réclamant de l'ONU ». Cette hantise de la révolution, qui pourrait être comique en d'autres circonstances, s'accompagne d'une surenchère dans un mépris et une arrogance que l'on croyait à jamais rangés dans les albums souvenir du colonialisme : « Algérien, Turc ou encore Nigérien, agissaient-ils en service commandé ? D'où parlent-Ils ? » Eh bien, Yves Thréard, outre que bien d'autres pays participent à ce comité, dont la France ou les États-Unis, ils parlent du monde. Ils parlent de pays qui ont longtemps regardé la France comme le pays des droits de l'homme. Ils parlent depuis l'organisation des Nations unies et ils ne règlent pas leur pas sur ceux de Nicolas Sarkozy, eux. Que se passe-t-il pour que l'on confonde sans vergogne les aires de stationnement des gens du voyage, français depuis des siècles et qui ont manifesté hier à Bordeaux en scandant : « Liberté, égalité, fraternité », et les abris de fortune que tentent de se construire les Roms, sous le vocable de camps illégaux ? Pourquoi faire mine d'ignorer que les collectivités locales ont l'obligation légale de construire des aires d'accueil pour les premiers ? Pourquoi traite-t-on les seconds comme des hommes et des femmes sans droits alors qu'ils sont, de fait, et quelles que soient leurs conditions d'existence, des citoyens européens ? Où en est-on pour que l'on ait, à Montreuil, séparé les hommes des femmes et les enfants de leurs mères ? Ou en est-on pour qu'un député UMP lui-même en vienne à parler d'un démembrement des camps illégaux « qui tourne à l'ignoble » ? Eh bien, il se passe ceci que le pouvoir, comme cela s'est fait souvent dans les pires heures de l'histoire, pratique une politique du bouc émissaire en prenant en otages les plus fragiles et les plus démunis. Il se passe qu'il recycle pour cela les clichés les plus éculés traînant dans les arrière-cuisines de l'inconscient collectif, en espérant rassembler, sinon les Français, du moins son camp jusqu'à la droite extrême. Il se passe qu'il entend ainsi détourner l'attention de sa politique de régression sociale dont la question, bien sûr, des retraites, au prix d'une sale régression morale et de civilisation. Il se passe que c'est au prix de la honte, que cela suffit, et qu'il appartient à tous les démocrates de faire que cela cesse. (source l'Humanité)
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