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Vendredi 20 août 2010:

Enquête : Ghettos de riches (3/5)

Au Cap d'Antibes

L'accès à la mer cadenassé

Les riches riverains de la presqu'île de l'Islette, au cap d'Antibes, ont grillagé l'accès à la mer en violation de la loi littoral et fermé par une barrière à Digicode le chemin qui mène au rivage et à un port abri.

En cette chaude matinée d'août, les plages de Juan-les-Pins sont bondées. Impossible aussi au lève-tard de poser sa serviette au cap d'Antibes, par exemple, sur les quelques mètres carrés de sable public qui, à la Garoupe, entre douches débordantes et poubelles malodorantes, résistent encore aux matelas des restos de plage. Tout serait donc plein partout ? Non ! Une plage de rochers, de surcroît l'une des plus belles d'entre toutes dans le plus magnifique coin du cap, la presqu'île de l'Islette, résiste à l'envahissement ! Et pour cause : son accès est empêché par les chaînes et les cadenas qui verrouillent les deux portails métalliques insérés dans la clôture grillagée qui la borde de tout son long ! Ce matin-là, un couple pourtant s'y dore au soleil ! Ont-ils escaladé, fait un trou dans le grillage ou bien sont-ils venus par la mer depuis un bateau ? « C'est plus simple, explique le jeune baigneur qui refuse de nous ouvrir, je connais le gardien de la villa, c'est lui qui me prête à clé de l'un des portails ! » « Vous comprenez, quand c'était libre d'accès, les gens laissaient l'endroit sale. C'est pour ça qu'ils ont fermé », croit-il bon d'ajouter (1).

« Ils », ce sont les propriétaires de la splendide « Villa aigue-marine », dont le haut mur d'enceinte est parallèle au grillage. « Ils » ne sont autres que la société civile immobilière Awohama, constituée par la famille Quandt, laquelle détient toujours 46 % de la firme automobile allemande BMW. « Je crois qu'ils ne sont là que quelques jours de l'année », nous confie le copain malin du gardien. Une présence d'autant plus discrète que les Quandt gagnent vraiment à se faire oublier depuis qu'un reportage fracassant de la chaîne allemande a fait resurgir, en 2007, le passé nazi de leur aïeul. Gunther Quandt, dont la première épouse Magda, se remaria avec Goebbels, faisait partie du premier cercle des financiers des campagnes électorales d'Hitler avant d'adhérer au parti nazi en 1934. Mais il échappa à la dénazification, ce qui autorisa, au début des années 1960, la famille Quandt à prendre la direction de Bayeriche Motoren Werke. Fortune refaite, elle acheta en 1962 ce « château Rochefort » qui eut pour hôtes, depuis Helmut Kohl et Hassan II.

Leurs principaux voisins sur le cap sont tout aussi célèbres, mais pour d'autres raisons. À l'entrée de la presqu'île de l'Islette a été édifié le somptueux Hôtel du Cap-Éden Roc. N'en cherchez pas la trace à l'office du tourisme local, car il n'est rien de moins que « le refuge mythique et confidentiel des grands de ce monde », dixit son site Web. Bernard-Henri Lévy n'a donc pas résisté à la tentation d'effectuer un bref séjour, en juillet dernier, dans le prestigieux établissement qui a confisqué lui aussi au public une portion du rivage qu'il réserve, notamment pendant le Festival de Cannes, à quelques stars hollywoodiennes et autres « yacht people ».

De la fenêtre de sa chambre, BHL a peut-être eu la chance d'entrapercevoir ce qui reste de la « Villa de l'Islette », plus connue durant les années 1990, mais à la rubrique « faits divers », sous le nom de « Villa Pellerin ». Le promoteur déchu du quartier de la Défense détient toujours le record de France de dépassement illégal d'un permis de construire. C'est en effet un véritable palais des Mille et Une Nuits de 2000 mètres carrés habitables creusés dans la roche de la presqu'île, que le juge Murciano, de Grasse, avait découvert à l'époque ! Laissée à l'abandon après destruction en 2002, la « Villa Pellerin » est aujourd'hui propriété de la société anonyme Palmetto, immatriculée au Luxembourg.

Cet autre coin magnifique à la pointe du cap, qui comprend un petit port abri, est également interdit au public, ne serait-ce que par les hauts murs de protection de la « Villa Pellerin » et de la « Villa aigue-marine » qui en barrent le chemin. Pourtant, toutes les délibérations municipales qui, depuis octobre 1987, octroient la concession du port abri à ces deux propriétaires stipulent bien, en substance, que l'accès à la mer doit rester libre et que le cheminement des piétons doit être facilité. Il n'en est visiblement rien. De plus, le chemin goudronné dit « de la Mosquée », qui mène à la Grande Bleue en longeant un mur d'enceinte de l'Éden Roc sur lequel deux caméras (contrôlées par qui ?) ont été installées puis la « Villa aigue-marine », a été interdit à la circulation automobile. Une lourde barrière électrique actionnée grâce à un Digicode a été récemment installée !

Balançant entre laxisme et impuissance, la mairie (UMP) d'Antibes s'avère incapable d'empêcher la privatisation totale de ce kilomètre de voie aboutissant au domaine public maritime. Donc à faire respecter la loi littoral. Le cap d'Antibes et le cap Ferrat se disputent sur la Côte d'Azur la domination symbolique de « baie des milliardaires ». Pour ce qui est du titre de champion de l'égoïsme et du passe-droit, Antibes, grâce aux riverains de l'Islette, possède une bonne longueur d'avance !

Philippe Jérôme

(1) En septembre 2008, le tribunal administratif de Nice a été sensible aux arguments des avocats Quandt, annulant pour « vice de procédure » la servitude de passage permettant l'accès public en vertu de la loi littoral !

Demain

Croix, dans le Nord

(source l'Humanité)

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