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Jeudi 27 Mai 2010:

Éditorial

Arrogance ne cache pas faiblesse

Par Jean-Paul Pierrot

Jusqu'au bout, la filouterie aura régné en maître dans la gestion du dossier des retraites par le gouvernement. La partie de poker menteur engagée depuis plusieurs jours, les annonces distillées dans les médias par des ministres dont la roublardise n'égale que la morgue ne visaient qu'à décourager les salariés de prendre part à la journée de mobilisation. À quoi sert de manifester ? Tout est décidé, susurrait la petite voix de la démobilisation. Les centaines de milliers de citoyens qui manifestent aujourd'hui, dans des centaines de villes de France, ont déjoué le piège que leur ont tendu les Woerth, Bertrand et autres Copé. Ils ont compris au contraire que le moindre renoncement, la moindre hésitation de leur part seraient honteusement exploités pour faire passer la mise à mort de la retraite à 60 ans.

Emportés par leur élan, les hommes du président en ont cependant fait trop. Ainsi, quand Éric Woerth annonce, hier sur LCI, que le gouvernement « va repousser l'âge légal », il avoue, du même coup, que la prétendue concertation avec les syndicats n'est qu'une sinistre comédie. Le caractère autoritaire du régime que Nicolas Sarkozy rêve d'instaurer apparaît au grand jour : la démolition d'un pilier du modèle social français aura donc été, de fait, officialisée non pas par une loi ni même par une ordonnance ou un décret du gouvernement, mais au cours d'une convention du parti du pouvoir ! Par oukase de l'UMP. Les normes de l'État de droit sont foulées aux pieds par les petits marquis de la contre-réforme antisociale, par la bande du Fouquet's, qui a traversé l'avenue des Champs-Élysées pour prendre ses quartiers rue du Faubourg-Saint-Honoré.

Le pouvoir est faible. Son arrogance actuelle n'a pas effacé sa débâcle des élections régionales. Il ne pourrait regagner en puissance que si le mouvement social perdait conscience de sa force. Or cela ne semble pas être le cas. Selon le sondage réalisé par l'institut CSA pour l'Humanité, 68 % des Français soutiennent les cortèges de manifestants qui défilent aujourd'hui. Une majorité de Français ne croient ni dans l'équité ni dans l'efficacité d'un report de l'âge légal de départ à la retraite à soixante-deux ou soixante-trois ans, qui enthousiasme des hommes politiques qui ignorent la pénibilité du travail, la précarité et les fins de mois qui sonnent creux. Pour une grande majorité de Français, la retraite à soixante ans est une conquête sociale fondamentale, de celles qui ont jalonné l'histoire du mouvement ouvrier et à qui la gauche a donné force de loi.

Aujourd'hui, la droite et le Medef invoquent l'argument démographique et l'allongement de l'espérance moyenne de vie. En 1936, les ancêtres de Sarkozy et de Parisot poussaient des cris d'orfraie devant la revendication des congés payés. Usant du même faux bon sens que nos Trissotins de la démographie d'aujourd'hui, les maîtres des forges s'indignaient : « Nous n'allons tout de même pas payer des ouvriers quand ils ne travaillent pas ! » Quant à l'argument démographique opposé au maintien des soixante ans, il n'était pas employé en 1982 lorsque cette mesure fut décidée par un gouvernement qui, pour la première fois depuis la Libération, comprenait des ministres communistes. Cela n'empêcha pas la droite de crier au scandale, avec d'autres arguties. La lutte entre le progrès partagé et l'égoïsme de classe ne date pas d'aujourd'hui.

(source l'Humanité)


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